Le parfum envoûtant des « Marguerite »

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C’est depuis quelques temps déjà que me trotte ce brouillon : alors qu’après des mois de vide intellectuel je me remets petit à petit à la lecture, je fais la découverte de Marguerite Duras et de Marguerite Yourcenar. C’est toute mon expérience de la lecture, de la poésie et du livre qui va en être affectée.

Ayant par fronde, et prétention mal placée, eu toujours soin d’éviter toute recommandation de la part de mes professeurs, quand on me parle de Mémoires d’Hadrien et du Ravissement de Lol. V. Stein à plusieurs reprises au cours de ma scolarité littéraire, je détourne le regard et l’oreille. Mais après plusieurs mois difficiles cette année, c’est contre mon gré, mais pour le mieux, que je me confronte assez crûment à la leçon de l’humilité.
Quelques mois plus tard, alors que je rentre, finalement assez timidement, dans une librairie l’air un peu incertain, je reconnais du fond – mais alors vraiment du fond – de ma mémoire ces deux titres familiers. Je ne suis même pas sûre à ce moment-là d’avoir lu les résumés. Ah, si seulement ils m’avaient vu là, suivre enfin un de leurs conseils, tous ces professeurs exaspérés.

Pour en finir avec mon étalage d’histoires futiles : je les ai enfin lus ces deux bouquins. Et alors quel voyage !

Le Ravissement de Lol. V. Stein est une illustration assez parfaite de l’écriture de Duras : des phrases imbriquées, une poésie qui parfois l’emporte sur tout le reste, y compris la compréhension, comme une sorte de brume qui brouillerait le sens. Et autant je la sais critiquée pour cette même aptitude à la confusion, autant c’est une grande partie de ce qui m’a convaincue. Je pense ses œuvres, celle-ci tout particulièrement, appréciées à leur potentiel total lorsqu’on accepte qu’elles sont des aventures poétiques avant tout. Et d’ailleurs, peu importe que je n’ai pas tout saisi comme Marguerite l’entendait, puisqu’en fait son tour de force est de savoir, malgré tout, emporter ses lecteurs très loin, sur l’épaule de Lol, dans les draps de Jack Hold, naviguant la luxure de Tatiana Karl. Je sais que cette lecture m’a intéressée, je sais qu’elle m’a transportée, qu’elle m’a fait réfléchir et sourire. Et n’est-ce donc pas là le principal ?

Quant aux Mémoires d’Hadrien, c’est à mon tour d’écrire un roman. Je sais bien en réalité que je dois m’en abstenir, mais quel dommage. J’ai lu sur ce livre une critique intéressante, mais que je contredirais : il faudrait avoir au moins quarante ans pour apprécier cet ouvrage à sa juste valeur. Oui, c’est en effet un livre de célébration de la rétrospective, de la mémoire, de la mélancolie, mais du haut de mes dix-huit ans, s’il ne m’a peut-être pas encouragé à écrire des mémoires sur les pauvres années qui ont traversé ma vie jusqu’ici, il m’a au moins invitée à vivre. C’est une prière magnifique à l’expérience et aux cycles qui parcourent la vie et l’âme d’un homme qui aura toujours placé le mouvement avant le pouvoir. Ce livre donne envie de changer et d’aimer très fort, autant d’ailleurs un amant qu’une brise éphémère. Yourcenar est stupéfiante : combien de fois ai-je du m’arrêter pour me souvenir que ce texte venait des mains de cette femme et non de cet empereur dévoué ? Il est d’une telle poésie et finesse que si vous êtes de ceux qui annotent, vous aurez bien du mal à poser votre stylo d’une phrase à une autre.

Alors oui, ces deux femmes ont installé selon moi, dans le roman français, un parfum envoûtant qui vous aidera à distinguer bien plus facilement le mauvais du bon, et le bon de l’exceptionnel. Yourcenar sera la première femme à intégrer l’Académie française et Duras sera surnommée « mythe littéraire ». Je vous invite, si ce n’est « hâte », à déguster leurs œuvres comme vous le feriez avec un vin vieux de vingt ans trouvé au détour de votre cave.

Donc merci à Marguerite, et puis aussi à Marguerite.

Lisa Gautier