Lisez le livre avant d’aller voir le film !
On sut très vite que les mains de Kersten valaient de l’or. Les paumes étaient puissantes et charnues, les doigts larges et courts. Elles savaient pétrir la chair comme de la glaise, dissiper les maux des corps blessés et leur redonner santé et apaisement. Afin de perfectionner ce don rare, il se forma pendant plusieurs années aux techniques de massages chinoises et tibétaines auprès d’un maître, le docteur Kô. Enrichi du savoir du docteur, il commence à pratiquer son don de façon professionnelle au début des années 1930 ; années durant lesquelles sa renommée ne fera que croître… jusqu’à atteindre les bureaux de l’état-major personnel du Reichsführer SS, Heinrich Himmler.
Himmler, que certains nommeront le “ meurtrier du siècle” souffre d’un mal qui lui tord les entrailles, l’empêchant parfois de rester assis et que même la morphine ne peut soulager. Kersten soignera pour la première fois Himmler au début de l’année 1939. Dès que le masseur pose ses mains sur son patient, le mal s’en va. Les douleurs qui empoisonnent le quotidien du bourreau disparaissent, si bien qu’Himmler le désigne désormais comme son médecin attitré, personnel. Lui seul arrive à détendre ce corps chétif, maigre et nerveux.
Alors une relation intime s’installera entre un homme de science – médecin débonnaire dont l’essence même du métier est de sauver des vies – et celui qui à lui seul collectionne les distinctions de chef de toutes les polices allemandes dont la Gestapo, ministre de l’Intérieur du Reich et qui porte enfin ce qui est probablement la plus lourde responsabilité : le fonctionnement des camps de concentration.
L’Histoire retiendra que Felix Kersten sauva des milliers de vies en étant le médecin personnel de Henrich Himmler. Les vies que le docteur a arraché du terrible sort qui les destinait, il les a demandé une par une. Au fil des pages, Kessel installe la relation de dépendance entre les protagonistes, nécessaire à pareille situation. En effet, Kersten agissait sur Himmler comme un médicament ; le seul qui puisse lui ôter son calvaire quotidien. Au péril de sa vie, il influença son patient. Convaincu que les pensées et les agissements se reflétaient sur la santé physique et le bien-être du corps, il poussait son patient à suivre une bonne hygiène de vie mentale et physique (autant que faire se peut), afin que son mal s’apaise. Puis, il nomma directement ses requêtes, qui furent entendues. Dans un milieu où régnait la suspicion, la délation et la folie – Kersten assis en face d’un des hommes les plus dangereux de l’époque – ne cessa jamais de croire à ses idées. Il fut peut-être traversé par la peur mais ne pensait qu’aux milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dont le sort était scellé par celui qu’il soignait et qui se trouvait en face de lui.
Une adaptation du livre de Kessel au cinéma très attendue est imminente, avec Woody Harrelson dans le rôle de Kersten, réalisée par Oren Moverman, ainsi qu’un téléfilm sur France 2.
Marie-Lou