Un trait unique, une rare puissance d’évocation dans le dessin : nul besoin de mots, à chaque nouvelle publication, Manu Larcenet s’impose encore d’avantage comme un maître ès bande dessinée.
Après le triomphe « Blast », explosif et sombre récit en 4 tomes sur un écrivain obèse marginalisé, Larcenet s’attaque à sa première adaptation avec « Le Rapport De Brodeck », dont la partie 1 vient tout juste de paraître (l’histoire sera complète en deux BD). Un dessin en noir et blanc profond, des pages entières ou le dialogue semble accessoire, il est ici question avec force de l’aridité des climats, de la rudesse des hommes, de leurs gueules frappées par la dureté de la vie, mais aussi plus simplement de la beauté de la nature et des animaux, dans une infinité de nuances restituées en quelques traits sombres et inspirés.
De la noirceur, car il est ici question du retour après guerre de Brodeck, ex-déporté, dans le village qui l’a dénoncé. Nous sommes dans les montagnes, tout près de la frontière Allemande, à la fin des années 40. Brodeck va écrire sur la mort d’un étranger, « der Anderer » (« l’Autre »), qui a été assassiné par les habitants du bourg… Voilà pour le décor. Noir, donc. Évidemment, ce récit à la première personne va évoquer plus largement « ce fatras, ce chaos » qu’est la vie de Brodeck.
Cette histoire, Philippe Claudel l’avait racontée dans un roman, publié en 2007 et récompensé du Goncourt des Lycéens. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Larcenet a brillamment réussi cette adaptation, en mettant le génie de son trait au service d’un roman graphique hautement utile, dont le tome 2 est déjà très attendu.